samedi 21 novembre 2009

Mondialisation 101

Comme toujours depuis mon arrivée ici, je lis beaucoup… je suis connecté aux médias québécois en quasi permanence. Étrange situation que d’être observateur du Québec depuis l’autre bout du monde, intéressant et instructif.

En ce sens, j’ai été interpellé par un point de vue publié en début de semaine sur le carnet de Jean-François Lisée, chroniqueur et analyste de la scène politique et internationale et ancien conseiller des premiers ministres péquistes à Québec. Son billet, « Cégep en français : un peu d’ambition que diable » plaide pour une réforme de l’enseignement linguistique au niveau collégial québécois. Je n’entrerai pas trop dans les détails, ce n’est pas l’idée… et je n’ai pas non plus envie d’argumenter sur le sujet…

Non, ce sont plutôt les commentaires des lecteurs qui m’ont fait réfléchir. En gros, Lisée propose de rendre l’enseignement « bilingue à prédominance francophone » dans tout le réseau collégial, avec plus de cours de langue seconde pendant les premiers semestres, culminant par une session intensive en immersion dans l’autre langue. Ce qui favoriserait ainsi l’apprentissage de l’anglais pour les non-anglos, tout en favorisant une meilleur maîtrise du français par tous ceux dont ce n’est pas la langue maternelle. Afin que nos « élites » de demain aient un bagage linguistique suffisamment solide, tendant vers le bilinguisme. Soit. L’idée a plein de sens. J’approuve totalement.

C’est lorsque je lis des commentaires que je résume par « faire entrer l’immersion anglaise au collégial, c’est affaiblir un peu plus le français, contribuer à son déclin », que ma pensée s’emporte. Pour une simple raison : ce que je suis.

Québécois expatrié immergé dans l’anglais (australien de surcroit!), après un an en Suisse, voyageur, découvreur, appelez ça comme vous voulez. Voilà 1 an et demi que j’ai quitté le Québec… et tout ça est loin d’avoir fait de moi un « assimilé » ou de m’avoir éloigné de mes racines. Au contraire.

Au contraire, parce que de voyager ainsi, de voir le monde, ça forge le caractère. Comment comprendre ce que nous sommes, sinon en se comparant à ce que sont les autres? Mon éloignement me montre ce qu’est un québécois, ce que je suis… et ce dont j’ai la chance de faire partie.

Le débat linguistique tel qu’il est présenté ici, il est bien. Mais un peu mou. Mou en ce sens que, comme certaines personnes le font remarquer, ce n’est pas à 18 ans qu’il est l’heure d’apprendre une langue. C’est plus tôt. Beaucoup plus tôt. J’ai eu la chance de faire partie d’un programme de langues au secondaire, j’ai donc fait plus ou moins une heure d’anglais quotidiennement pendant 5 ans. Un programme élitiste? Oui et non… 20% des étudiants en faisaient partie. Élitiste oui donc. Mais démocratisable. Lorsqu’on me demande (souvent) où ai-je donc appris l’anglais que j’utilise ici tous les jours, je me fais un malin plaisir à répondre « at school! ». C’est la vérité.

De mon point de vue, l’apprentissage des langues DOIT se faire de manière efficace au niveau secondaire. C’est là que c’est possible. Au cégep, c’est trop peu trop tard. Non. Au secondaire, c’est les langues, mais aussi la culture et l’identité « locale », québécoise, qui doivent se former.

Et depuis les quelques années où je voyage, si j’avais une chose à réformer au collégial, ce ne serait pas de faire de la dernière session une période d’immersion dans l’autre langue. Ce serait une session d’immersion ailleurs dans le monde. Là on voit, là on comprend. Là on se compare et on se forme. Suis-je moins québécois depuis que j’ai quitté le Québec? Oh que non, bien au contraire! Cette identité, elle se forge au contact de toutes ces autres identités. On s’aperçoit qu’on est différent, qu’on est chanceux.

Et on a envie d’y revenir…

C’est le message que je martèle à qui veut l’entendre depuis un an : partez, y’a rien de tel. Les européens de ma génération le font beaucoup, ils ont le continent pour ça. Le programme ERASMUS joyeusement décrit dans le film « L’auberge espagnole ». C’est ça. Ils connaissent les langues, connaissent les cultures, sont continentalisés à travers l’UE. Sont-ils moins espagnols, grecs ou tchèques pour autant?? Bien sûr que non! Ils sont au contraire plus conscients de ce qu’ils sont et ne sont pas, voient leurs différences et se forgent sur ce moule interculturel. Penser perdre son identité à travers un tel processus est une peur absurde, méconnaissante. Au contraire, ce processus la construit et la fortifie cette identité.

On plaide au Québec le bilinguisme pour tous de manière à rendre nos élites plus « fonctionnelles » dans un monde globalisé. C’est la moindre des choses! Plus que ça, mondialiser veut dire VIVRE avec le monde, pas seulement lui parler. Comprendre le monde, le reconnaître et arriver à s’y ouvrir. Bien beau de parler anglais. Mais je ne vois pas comment, même bilingue, un québécois « made in Montréal » pourra vraiment comprendre la réalité que vit un vénézuélien ou un pakistanais fraichement débarqué installé à Lévis.

Se retrouver entouré, isolé, mal compris… se retrouver dans un monde différent, où les repères bougent… ça ouvre les yeux, ça donne une claque. Ce n’est pas trop souvent douloureux, bien au contraire. Ça replace les choses dans leur contexte, ça enlève les œillères. Et ça ne s’apprend pas dans les livres ça. Ni à l’école. Il y a juste la vraie vie pour ça.

À mon humble avis, une meilleure intégration des immigrants au sein de cette nation qui est la notre, ça passe par une meilleure compréhension de la part de tout un chacun de ce qu’est justement cet autre. Envoyez tout le monde passer leur dernière session de cégep n’importe où ailleurs dans le monde, donnez leur les moyens, l’encouragement et l’encadrement pour le faire, rendez la chose facile et attrayante. Parfaite utopie, rêve en couleur? Je sais bien!

Mais j’aimerais essayer...

Juste pour voir dans 20 ans de quoi aurait l’air « l’identité québécoise » pour laquelle on semble avoir si peur. Je suis prêt à miser sur le succès sans précédent d’une telle réforme.

Parce que c’est le moyen le plus efficace que je connais de prendre conscience de ce que nous sommes et d’en être fier : aller voir ailleurs.

Quoi!?! Qu'est-ce que j'entends? Un murmure... on me répond que "je suis privilégié, que je suis chanceux, et courageux, et gnégnégnégnégné..." d'avoir fait ce que j'ai fait, que ce n'est pas si facile pour tous... et je ne sais pas quelle excuse encore.

Ma chance, je l'ai fait. J'ai travaillé fort pour, c'est vrai. Mon courage, c'est juste l'envie d'aller plus loin qui s'exprime. Tous n'ont pas cette envie. Je sais.

Mais l'immersion et le voyage deviennent nécessaires, donnons-en les moyens, faisons-en une nouvelle matière de l'enseignement général au cégep, aux côtés de la philo, le français, l'anglais et l'éducation physique: "Mondialisation 101", avec une période pratique de 4 mois obligatoire. Mettons-y des ressources, de l'encouragement, des profs, des moyens. Et attendons de voir le résultat.

5 commentaires:

  1. Intéressante idée de mondialiser le cégep.Tu devrais l'envoyer à Jean-François Lisée,pour voir ce qu'il en ferait.Après tout ça prend des idées audacieuses dans la vie pour aller plus loin.Il y a d'ailleurs des pays,d'Europe en particulier,comme tu le dis,qui sont déjà bien avancés dans ce sens.Mais c'est sûr aussi qu'en en parlant sur ce blog,on est déjà entre "convertis".
    Qu'en pensent les autres lecteurs?.....
    Allez,plongez.....

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  2. C'est une nouvelle orientation du Collège d'Alma, d'encourager la mobilité étudiante. Une «conseillère au développement international et interculturel» y travaille à temps plein depuis presqu'un an. Cette année, il y a des élèves de quatre programmes qui vont faire des voyages à l'étranger, avec des enseignants, dans le cadre de leur programme d'études... Un commencement, donc... Et avec le volet interculturel, on tente aussi de s'ouvrir à la réalité autochtone... nos voisins si proches et si différents.

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  3. Je vais juste placer une petite nuance.

    "À mon humble avis, une meilleure intégration des immigrants au sein de cette nation qui est la notre, ça passe par une meilleure compréhension de la part de tout un chacun de ce qu’est justement cet autre."

    Voyager et rencontrer des gens m'a passablement enlevé l'envie d'intégrer pas mal de monde.

    Mais je vais en rajouter quand même sur l'influence que les voyages ont sur l'identité. Comme toi, j'ai vraiment l'impression qu'ils l'exacerbe, à savoir qu'en confrontant son identité, on la renforce, mais que quand on est un peu déboussolé, ça peut aussi la détruire.

    J'ai croisé une belle quantité d'autres voyageurs qui était en complet déni d'identité (surtout des français en fait).

    Je suis pas trop non plus pour l'idée de forcer les gens à partir. "Il faut nourrir ceux qui ont faims" disait un de mes profs de secondaire. Et vouloir forcer un apprentissage, c'est du gavage et une perte d'énergie. On retient beaucoup mieux ce qu'on a appris soit même, tout comme on digère mieux ce qu'on a soit même mis dans sa bouche.

    Je peux manger 500 grammes de spaghetti et tout transformer en chaleur sans peine, mais y'en a beaucoup qui vont avoir le choix entre vomir ou exploser leur foie si on les y force.

    Pour continuer l'analogie avec la nourriture, un professeur est juste un cuisinier.

    Mon commentaire manque un peu de structure, mais j'espère que ça reste compréhensible

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  4. Est-ce que les gens qui voyagent deviennent ouverts et intéressés ou bien le sont-ils déjà avant de partir?

    Ça renforce l'identité, c'est clair, mais j'pense que la question est quand même à la base du débat.

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  5. Voici Étienne les commentaires que tu m'as demandé. J'espère répondre aux attentes.

    Élément de contexte : le cégep en français pour les allophones, ça touche quelque chose de profond : l’identité, la peur de disparaître, la fierté de notre construit culturel, l’unicité, le legs.

    Le débat actuellement est principalement montréalais. Le cas Montréal a toujours été particulier. Il y a quand même plus de 400K unilingues anglophones sur l’île.

    Il y a cela en trame de fond : relation de pouvoir, de dominant/dominé. La langue de l’Autre n’est pas anodine, mais pleine de sens, en fonction du lieu et du point de vue.

    Apprendre une langue, c’est, tu l’as mentionné, beaucoup plus que des cours. On ne comprend jamais une langue sans entrer dans son paradigme, sans intégrer sa culture et ses référents. Ce n’est pas au fond du Lac-St-Jean que l’on va apprendre le culturalisme latino-américain, si tu me comprends. D’ailleurs, cela n’a pas marché…

    L’école, c’est comme toute chose, ça fait seulement « ce que ça peut, avec les moyens du bord ». Élististe, les programmes pour « plus-doués ». Pas si sûr. Du moins, je ne veux pas être réductionniste, mais nos élites jeannoises et saguenéennes, ce n’est pas grand-chose pour bouleverser le cours du monde. Les vraies élites, elles se nichent dans les Brébeuf, St-Mary High School, et autres écoles privées. Une élite à l’école publique, et puis après. Ce n’est qu’attaquer la queue du poisson face au monde du privé.

    C’est ces élites, surtout au niveau universitaire, qui prennent leur vrai sens. Toute la notion de dominant/dominé, de pouvoir, de richesse prend son sens. Le producteur de bleuet devient peu de chose lorsqu’on rencontre l’entourage de la fille à Péladeau, par exemple. Les élites se reproduisent. Mais crois-moi, « ça » ne se reproduit pas dans les écoles publiques.

    Là-dessus, je t’accorde que l’immersion est un moyen efficace pour rencontrer l’Autre. Est-ce qu’un Erasmus en Amérique est possible ? Ça reste à voir. Je garde mes réserves pour d’autres discussions. Mais l’intérêt réside davantage dans le questionnement suivant: existe-t-il un lien entre l’ouverture à l’autre et la diminution de la fierté de soi. Dans le même sens que toi, je ne crois pas. L’Autre est le reflet de soi ; une longue tradition philosophique qu’on remonte à Platon. Il y a beaucoup de sagesse là-dedans.

    L’identité québécoise traversé de multiculturalisme : inutile de se demande ce que cela pourrait avoir l’air. On l’observe déjà et le mouvement est inéluctable. Une immersion prescrite pour tous. J’émets des doutes. Ce n’est pas parce qu’un médicament engendre beaucoup de bienfaits à soigner chez quelqu’un qu’il sera bénéfique pour tous.

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