mardi 20 octobre 2009

Métallurgie de "bretteux"

J’ai d’abord pensé appeler ce billet « métallurgie I », mais en fait je ne compte pas aller assez loin dans la technique pour que le prochain texte mérite de porter ce titre… Je travaille présentement sur la solidification des métaux légers, l’aluminium et le magnésium, et il y a beaucoup de choses intéressantes à comprendre, même pour vous tous qui n’avez pas grand-chose à faire avec la métallurgie… Pour ceux qui s’en souviennent, il y a deux ans j’avais écrit un billet sur la métallurgie d’un alliage cuivre-fer-phosphore… je parlais alors de traitement thermique, j’en suis bien loin aujourd’hui!

Mais pour l’heure, j’écris pour parler de ma journée. Une bonne journée de 9h de boulot productif et qui donne des résultats. En fait, j’ai besoin de parler de ma journée… en rentrant du boulot ce soir, j’avais cet étrange sentiment de vide qui m’afflige depuis ces semaines où je suis célibataire… de ne plus avoir d’amoureuse pour partager mon quotidie… et ce soir, ce vide était causé par un truc tout bête. Ce soir, j’aurais aimé avoir une blonde près de moi pour partager la joie que j’avais, pour pouvoir lui décrire mes succès et mes bons coups de la journée… mais une blonde, ça n’existe plus dans ma vie… Donc je vous l’écris (bon, j’aurais préféré en parler de vive voix mais je fais avec ce que j’ai!)

Ainsi donc, commençons par le commencement : ce que je fais… J’étudie la solidification des métaux, c’est-à-dire passer de l’état liquide à l’état solide. Tout ce qui est en métal y est déjà passé. Souvent, on passe du liquide au solide et on fait ensuite subir à cette pièce solidifiée plusieurs traitements, déformations ou chauffages (voir le billet d’il y a deux ans…). La fabrication d’une pièce nécessite donc une longue suite de traitements, de l’extraction du métal à la coulée d’une première pièce solide… et de tout ce qui vient après (à titre d’exemple, le papier d’aluminium que vous utilisez a déjà été un lingot de 6 mètres de long, 40 cm d’épaisseur et 1 mètre de largeur… il a été « un peu » déformé pour finir en rouleau de 0.008 millimètres d’épaisseur!)

Bon, donc l’idée de ceux qui travaillent en solidification (dont moi donc), c’est d’obtenir directement depuis le métal liquide des pièces aux propriétés excellentes qui ne nécessiteraient que peu de traitements subséquents pour être utilisables dans tous les contextes. Une incroyable économie. Bien entendu, on ne se débarrassera jamais du laminage (comme de la pâte à tarte) ou de l’extrusion (on pousse le métal dans un moule comme de la pâte à modeler… avec un peu plus de force), mais le prof pour qui je travaille a la ferme intention de devenir riche en trouvant ce genre de procédé.

Bon, donc je prends un raccourci : je cherche à obtenir de super bonnes propriétés dans les métaux directement en les coulant. Pour ça, différentes méthodes. Dans mon cas, ça veut dire les refroidir vite, entre autres (tout ça, j’en expliquerai les fondements ultérieurement… je viens de résumer en trois lignes des pages et des pages de prochains billets sur le sujet, ce sera mon plaisir et mon défi!)

Depuis la semaine dernière donc, je m’arrange pour créer un système où on peut refroidir de manière efficace les métaux depuis la phase liquide, et avant tout (comme on fait de la science…), de connaître la vitesse de refroidissement qu’on obtiendra pour quantifier un peu le tout, y enlever le « pifomètre » qu’il y a là-dedans. Ainsi, je m’arrange pour obtenir les données dont « ma » science a besoin, mais je fais surtout de l’ingénierie… du patentage… c'est-à-dire prendre des bouts de un peu n’importe quoi pour arriver à quelque chose qui donnera de la science. C’est clair? Pas sûr… en tout cas.

Nous utilisons un système très simple pour remplir des tubes de quelques millimètres de diamètre à l’aide d’une pompe à vide. Imaginez qu’il y a un creuset rempli de métal en fusion (comme un verre d’eau). Imaginez ensuite un tube d’un métal fondant à plus de 1000 degrés, de l’acier ou du cuivre (une paille). Et imaginez une petite pompe à vide toute simple, une « pro-pipette » pour les chimistes (votre bouche). Vous imaginez bien pouvoir aspirer l’eau dans la paille avec votre bouche… et si vous mettez votre langue sur le bout de la paille remplie d’eau, la paille ne se vide pas… et si vous gardiez la paille bouchée et que vous la placiez au congélateur? Ca fera un cylindre de glace. Ben on fait pareil. On remplit le tube de liquide, la différence pour nous c’est que pour du métal liquide, la température ambiante est un puissant congélateur… Donc on remplit les tubes avec le vide de la pompe (parce que aspirer à la bouche serait un peu risqué… pas besoin d’expliquer plus!) et on attend simplement que ça solidifie… On a ainsi des tubes d’acier ou de cuivre remplis de métal à étudier, alu ou mag, c’est selon.

Ces tubes remplis de métal sont utilisés dans un type d’expérience dont je parlerai probablement aussi plus tard. Mais ainsi, mon idée est de réutiliser ce même type de montage simple et connu (un tube d’un métal qui fond à haute température et une pompe à vide manuelle) pour étudier le refroidissement lorsque ces tubes sont remplis, le métal y étant d’abord liquide et passant rapidement au solide en refroidissant.

Premier principe d’un truc tout con que j’utilise tout le temps : les thermocouples… Vous connaissez? Avez déjà entendu? J’vous explique. En fait, ça a l’air d’un bête fil électrique, tout simple et super standard. Une gaine, deux fils à l’intérieur, un plus et un moins. Quiconque a déjà vu un fil coupé sait de quoi je parle… Bon, le truc ici, c’est que les deux fils en question (appelons les le rouge et le blanc) ne sont pas fait du même matériau. Dans le cas d’un fil standard, le rouge et le blanc sont du même métal, du cuivre (excellent mais cher) ou de l’alu (moins bon mais beaucoup plus abordable!) Dans le cas d’un thermocouple, ce sont deux métaux différents qui constituent les deux fils. Et la magie, c’est que si on connecte les deux fils ensemble, le rouge et le blanc, à une extrémité, et qu’à l’autre extrémité on applique un courant électrique, eh bien la courant ne passera pas de la même façon en fonction de la température là où il y a la jonction entre le fil rouge et le fil blanc, entre les deux métaux. Ainsi, si on arrive à mesurer cette variation dans le courant qui passe, on mesure indirectement… une température. Bingo! Et pourquoi un thermocouple et pas un thermomètre normal? Parce que à 600, ou 1000, ou 1500 degrés celcius, un thermomètre ça vaut pas grand-chose… simplement! Et ça, c’est clair? Pas plus certain qu’avant…

M’enfin. Donc, si par un tour de passe-passe que je ne comprends pas tout à fait moi-même, on arrive à relier ce « fil spécial » qu’est le thermocouple à un ordinateur, on arrivera à enregistrer des températures variant dans le temps. Ce que je fais donc.

Mon défi depuis quelque jours a été de placer à l’intérieur de nos tubes (les pailles) des thermocouples que j’ai moi-même fabriqués… et à bidouiller les pompes à vide pour être en mesure d’y faire passer un fil électrique (la sortie du thermocouple) sans pour autant perdre le vide. Ça a l’air tout con, mais faut que ça coûte à peu près rien, que ce soit un peu fiable et surtout que ça donne une lecture relativement précise lorsque porté à plus de 700 degrés, température normals de l’aluminium liquide avant d’être coulé.

Ainsi, je suis un hybride entre un mécano et un électro (je fais même des joints de silicone, avec un « gun » ben pareil comme on scelle une fenêtre… pour boucher mes pompes à vide… un gun à silicone ça fait un peu spécial dans une fonderie!), pour la métallurgie on repassera! Je n’ai jamais fait autant de prises électriques qu’en ces derniers jour, je passe mes journées à l’atelier à essayer de trouver des bouts de tubes (dans lesquels on fait les essais donc), des bouts de fils, des prises à thermocouples, à couper et bidouiller… Ca change du bureau et ça fait du bien! Bon, je lis tout ça et je ne me trouve pas super clair, j’espère que vous imaginez un peu.

Parallèlement à ça il y a toute la partie métallurgie, préparer des alliages, des fours, des outils pour travailler à chaud, chauffer un peu tout pour éviter que ça pète… je ferai un autre bout sur ces explications plus tard… Mais donc j’ai pas mal de plaisir à faire tout ça.

Et parlons un peu de l’expérience d’aujourd’hui. Le but : mesurer la vitesse de refroidissement de l’aluminium lorsqu’il est solidifié à l’intérieur d’un de ces tubes à essais, et comparer l’effet du matériau en quoi est fait le tube. L’idée, c’est que plus ça refroidit vite, et mieux c’est pour mon projet… De façon standard, on utilise des tubes en acier inoxydable, pratique pour le genre d’application. Mais un mauvais conducteur de chaleur. Donc on pense que l’alliage liquide y refroidit lentement… On y mesure le refroidissement, et on compare avec le refroidissement observé dans le meilleur conducteur connu (et utilisable commercialement) : le cuivre. Ce dernier étant de 30 à 50 fois meilleur conducteur que l’acier inox… ne connaissant pas exactement la composition des tubes utilisés, il nous est impossible d’en avoir une idée précise. L’important, c’est que c’est beaucoup mieux avec le cuivre. En théorie au moins. Voilà l’idée d’aujourd’hui donc. Préparer un alliage fondu, préparer des tubes de cuivre et des tubes d’acier contenant des thermocouples… y aspirer du métal liquide… et enregistrer la température pendant le refroidissement pour comparer l’effet du matériau du tube sur la vitesse de la baisse de température. Parce que la vitesse de refroidissement a une grande influence sur les caractéristiques du métal solidifié. Plus vite = meilleur = le but de mon projet. C’est clair? Je sais toujours pas.

Mais bon, ce qui est clair, c’est que ça a fonctionné… J’ai préparé quelques tubes ainsi équipés (assez long à faire au fait!), nous y avons aspiré du métal et on est arrivés à enregistrer des trucs plausibles. Reste à analyser le tout en profondeur demain matin, mais en attenant au moins l’expérience est concluante. Les résultats semblent un peu décevants à première vue, en ce sens que le matériau du tube ne semble pas changer grand-chose… mais j’m’en fous. Mon setup un peu tordu a fonctionné. L’ingénierie a marché. Le reste, c’est un problème de science!

Ouf. Plus j’écris et plus je constate que parler de tout ce dont j’ai envie en matière de métallurgie me demandera un effort de taille, mais je ne compte pas abandonner. Ce sera plus vulgarisé une prochaine fois, pour l’instant je me suis dit que des bouts de fils et des bouts de cuivre n’avaient pas besoin d’une grande métaphore pour être accessibles à un large public. Mais paradoxalement le fait de ne pas utiliser d’images pour expliquer le tout (style la piscine à balles, ref. le billet d’il y a deux ans…) rend les choses pas mal plus arides… enfin. Ça viendra!

C’était ma journée, une bonne. Rien n’a explosé, ou presque… mes thermocouples de bricoleur on tenu le coup, c’est l’essentiel. J’y reviendrai pour d’autres chapitres sur des sujets connexes… à une prochaine, je vais au lit! Il est 20h, c’est mon heure. Mon horloge biologique est programmée pour cette heure, et je me lève très tôt! C’est très bien ainsi, étant célibataire ça ne dérange personne que je me couche et me lève à des heures étranges… et pis je profite de la clarté… Cheers!

7 commentaires:

  1. C'est normal que rien n'ait explosé, je suis pas à côté de toi pour foutre le feu à ton sarrau!!!

    En passant, si tu veux accélérer la vitesse de refroidissement, tu peux pas passer des tubes dans un gazs liquéfiés comme de l'azote ou de l'oxygène liquide?

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  2. Etienne, je te lis assidûment depuis ton départ, avec un grand plaisir vu ta qualité d'écriture! Sachant à quel point il n'est pas évident de vulgariser notre belle science, je te dis d'autant plus bravo ;)

    Mmmh effectivement c'est louche que le matériau du tube n'ait pas d'effet si significatif. Mais tant mieux si ça se confirme, vous aurez qu'à prendre le moins cher, et ton prof et toi deviendrez d'autant plus riches!

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  3. Que de souvenirs Mathieu! Un labo memorable!

    Pour ce que est de "super frette" avec l'azote liquide, l'idee a du bon, mais c'est presque certain que ca pete alors... J'expliquerai pourquoi une prochaine...

    Merci Vanessa! Ca fait plaisir de decouvrir des lecteurs passionnes... Et de savoir que ma vulgarisation est logique...

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  4. Salut Étienne, j'ai pas tout compris mais ça me donne une bonne idée de ta spécialisation, et bien aimé la métaphore de la paille, le fil rouge et le fil blanc, ça facilite la compréhension. Profites bien de tes journées...

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  5. Ouais, je suis d'accord avec Michel... paille, fil rouge, fil blanc... C'est peut-être moins recherché que la piscine à balles, mais tout aussi efficace! Tu as le chic pour vulgariser et crois-moi, si je comprends (ou si je pense comprendre), c'est que tes explications sont bonnes!!! Je pense que je suis un pas pire public cible pour tester tes capacités de vulgarisation métallurgique! et j'ai tout lu avec intérêt!!!!
    En tous cas, c'est l'fun de voir que tu te passionnes pour ce que tu fais et que ton projet se précise!!!
    Bon mercredi!
    XXXXXXX

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  6. C'est très clair quant à moi.Après la piscine et les balles,l'eau et les pailles.Peut-être un petit drink au bord de ta piscine avec ça ?
    Je suis certain que ça ajouterait de l'intéret,
    Je suis prêt pour la suite

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  7. J'avais une question qui me chicotait depuis le début: les tubes, comment tu fait pour enlever l'échantillon de dedans? En béton, on mets une sorte de vaseline dans le moule en PVC, mais à 700 degrés la vaseline, j'imagine que c'est pas appliquable.

    J'aime bien ton style d'écriture, c'est génial a lire.

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